
Imaginez être en mesure de prévoir comment une marée noire va se propager, ou quelle stratégie de nettoyage sera la plus efficace… sans jamais être en contact avec l’eau. Et s’il devenait possible de tester des solutions permettant de protéger les océans avant de les mettre en pratique ?
Cette vision est déjà une réalité grâce au Jumeau numérique de l’océan (JNO) européen, une initiative qui permet à des chercheurs financés par l’UE de créer un puissant double virtuel des mers. Ce sera comme avoir à l’écran un laboratoire océanique haute technologie prêt à reproduire des scénarios hypothétiques de problèmes concrets.
«Cette plateforme nous permet d’anticiper les problèmes et d’agir ensemble pour un océan en meilleure santé», a déclaré Alain Arnaud, responsable de l’Océan numérique chez Mercator Ocean International, une organisation à but non lucratif française qui dirige le développement du JNO.
La dernière phase de démonstration du Jumeau numérique de l’océan européen, dont l’infrastructure centrale porte le nom d’EDITO, a été présentée à l’occasion de la Conférence des Nations Unies sur l’Océan (UNOC3) à Nice, en France, en juin 2025.
Ce jumeau promet de transformer la façon dont les scientifiques, les décideurs et les citoyens comprennent et gèrent les environnements marins. Les applications potentielles sont nombreuses, de la prédiction des risques de pollution jusqu’à l’identification des couloirs de navigation les plus efficaces dans le Pacifique.
Il pourrait aussi servir à lutter contre la pollution plastique. EDITO peut déterminer si les déchets sont transportés par une rivière ou s’ils dérivent avec la marée, et modéliser les meilleurs moyens de les éliminer, que ce soit en nettoyant une plage particulière ou en remédiant aux déchets en amont.
Qui se cache derrière ce jumeau océanique ?
Derrière ces capacités avancées se cache un réseau constitué d’institutions européennes clés.
La technologie qui est au cœur du JNO a été mise au point par Mercator Ocean International, qui gère le Service marin de Copernicus pour l’UE, et par l’Institut flamand de la mer à Ostende, en Belgique, qui représente les 120 partenaires du réseau européen d’observation et de données du milieu marin (EMODnet).
Ils ont fusionné ces deux systèmes européens clés de données océaniques (le Service marin de Copernicus et EMODnet) au sein d’une seule et même structure évolutive. Elle sera prochainement reliée au jumeau numérique «Destination Terre» de l’UE, qui couvre l’ensemble de la planète.
La plateforme restituera l’état passé et présent de l’océan, ainsi que ses états futurs plausibles, en s’appuyant sur des données satellites, des capteurs marins, des simulations avancées et sur l’intelligence artificielle. Elle permettra aux scientifiques, aux décideurs, et même aux citoyens curieux, de procéder à des expériences et de prendre de meilleures décisions.
Pour M. Arnaud, la plateforme est bien plus qu’une simple prouesse technologique: «C’est notre boussole à tous: elle nous guide pour appréhender au mieux l’avenir de notre écosystème marin vital.»
Un consortium des principales institutions européennes des secteurs de l’océanographie, de la climatologie et des sciences computationnelles conçoit actuellement des modèles océaniques de nouvelle génération qui permettront aux utilisateurs du JNO d’établir des scénarios de gestion réalistes. Cette initiative, EDITO-Model Lab, a débuté en 2023 et se poursuivra jusqu’à fin 2025.
Des scénarios de modélisation, de la pollution jusqu’aux tortues
Le dispositif de suivi de la pollution plastique n’est qu’une des applications possibles mises au point par les chercheurs de l’initiative EDITO-Model Lab. Plusieurs autres modèles sont également en mesure de générer des scénarios hypothétiques riches en enseignements.
Y figurent notamment des cartes saisonnières des risques de pollution pour la Méditerranée, des programmes identifiant les sites les plus appropriés pour installer des parcs éoliens en mer, ainsi que des simulations montrant l’impact de différents scénarios de changement climatique sur les stocks de poissons. Un autre modèle étudie les habitats marins les plus adaptés pour diverses espèces, comme les tortues de mer.
«Nous pouvons modéliser leurs déplacements depuis la plage où elles éclosent, durant leur vie juvénile, puis lorsqu’elles sont adultes, avant qu’elles ne reviennent sur la plage», explique Yann Drillet, directeur de la recherche et du développement chez Mercator Ocean International.
Ces données aident les organismes de défense de l’environnement à déterminer quels sites de nidification et quelles zones marines doivent être prioritaires.
Une intelligence accessible sur l’océan
EDITO est un élément clé du Pacte européen pour l’Océan, lancé en juin 2025 pour fédérer toutes les actions de l’UE destinées à protéger les mers et à promouvoir une économie bleue prospère et fondée sur l’utilisation durable des océans.
Sa principal atout est son accessibilité. Des modèles à grande échelle des systèmes océaniques existent déjà. Toutefois, d’après M. Drillet, le projet EDITO permet de bénéficier de volumes de données sans précédent et a été pensé aussi bien pour les experts que pour les non-initiés.
«Notre objectif est de créer un jumeau numérique totalement ouvert auquel tout le monde peut accéder», explique-t-il. «Les utilisateurs débutants peuvent explorer des scénarios de base, tandis que les utilisateurs avancés ont la possibilité de développer leurs propres programmes à l’aide des outils de la plateforme ou de leurs propres ensembles de données.»
Le JNO rassemble les observations en temps réel et historiques obtenues à partir de milliers de capteurs marins et de satellites. Il a, au départ, été obtenu grâce à la consolidation des données du Service marin de Copernicus et d’EMODnet, mais intégrera un éventail plus large de sources, y compris à caractère socio-économique.
Grâce à l’IA et au calcul à haute performance, il peut modéliser les effets des événements naturels et des activités humaines. Les utilisateurs ont la possibilité d’ajuster différents paramètres afin d’étudier l’évolution possible de divers scénarios.
Optimiser les couloirs de navigation
L’un des modèles de l’initiative EDITO analyse les routes maritimes qui relient l’Amérique et l’Asie et s’attaque à deux enjeux clés pour la navigation: le temps et le rendement d’utilisation du carburant.
«Nous montrons comment optimiser la traversée du Pacifique, de la côte ouest des États-Unis jusqu’en l’Asie, en nous appuyant sur les informations environnementales», explique M. Drillet.
Le trafic maritime génère 3 à 4 % des émissions totales de CO₂ de l’UE chaque année. En tenant compte des courants océaniques et des conditions météorologiques, le JNO est capable de suggérer des itinéraires qui réduisent la consommation de carburant, les émissions et les coûts.
Les recherches menées par EDITO-Model Lab sont également présentées à l’Exposition universelle d’Osaka (d’avril à octobre 2025).
Les visiteurs peuvent y découvrir la simulation de la pollution plastique marine, ainsi qu’un autre modèle localisant les meilleurs sites pour développer des herbiers marins afin de protéger les côtes, en mer Adriatique et le long des côtes allemandes de la mer du Nord.
Une nouvelle vague de recherches marines
En simplifiant et en modernisant la façon dont les simulations océaniques sont conçues et exécutées, l’initiative EDITO devrait permettre d’intensifier la recherche marine, explique Lőrinc Mészáros de Deltares, un institut de recherche appliquée indépendant et à but non lucratif basé à Delft, aux Pays-Bas.
«La plateforme permet aux spécialistes des océans d’utiliser des technologies modernes basées sur le cloud, même s’ils ne sont pas des experts des TIC», précise-t-il.
L’objectif est que chercheurs et décideurs utilisent la plateforme pour trouver des moyens efficaces et durables de protéger les habitats marins et côtiers, de soutenir l’économie bleue et de faire face au changement climatique.
Le JNO devrait être opérationnel d’ici 2030 et offrir un système d’aide à la décision encore plus puissant pour relever les défis marins dans le monde.
Comme l’explique M. Arnaud, «grâce à cette plateforme, nous sommes en mesure d’anticiper les problèmes et d’agir ensemble pour un océan en meilleure santé.»
Les recherches présentées dans le cadre de cet article ont été financées par le biais du programme Horizon de l’UE. Les opinions des personnes interrogées ne reflètent pas nécessairement celles de la Commission européenne.
Cet article a été publié initialement dans Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation.
Plus d’infos
- EDITO-Model Lab (CORDIS)
- Site Web du projet EDITO-Model Lab
- European Digital Twin Ocean (EDITO)
- Jumeau numérique de l’océan européen (JNO européen)
- Mission de l’UE Régénérer notre océan et nos eaux d’ici 2030
- Directive-cadre Stratégie pour le milieu marin
- Politique maritime intégrée
- Pacte européen pour l’Océan
Détails
- Date de publication
- 6 octobre 2025
- Auteurs
- Représentation en France | Research and Innovation