
Monsieur le Président Steinmeier,
Monsieur le Ministre-Président Söder,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,
Comme tant d'autres parmi vous, voici plusieurs années que je viens ici à Munich. Si, au début, le parterre était exclusivement transatlantique, la conférence est aujourd'hui fréquentée par des dirigeants politiques, des chefs d'entreprise et des leaders d'opinion venus du monde entier. Cela témoigne non seulement du grand succès de la conférence de Munich sur la sécurité, mais aussi de l'incidence que le reste du monde exerce sur notre sécurité et sur notre relation transatlantique.
Notre mission, ici à Munich, ne consiste pas uniquement à décrire ce nouveau paysage géopolitique, mais à le façonner. À le façonner de manière à sauvegarder nos valeurs transatlantiques et à défendre nos intérêts. Car il est évident que certains tentent de créer des sphères d'influence. Des visions divergentes de l'ordre mondial se traduisent par une approche plus transactionnelle des questions internationales. Et l'Europe doit changer si elle veut prospérer dans cette réalité nouvelle. Nous devons faire preuve d'intelligence et être lucides quant à ce qui nous attend, entre la Russie devenue un État voyou et la remise en cause de notre souveraineté et de notre sécurité. Et nous ne devons pas sous-estimer le potentiel déstabilisant d'une concurrence effrénée, voire d'un conflit bipolaire, entre la Chine et les États-Unis. Ce sont des choses que l'on n'a pas envie d'entendre, mais il est temps de les dire sans ambages.
La bonne nouvelle, alors que nous nous engageons dans cette nouvelle année de changements, c'est que l'Europe a déjà entrepris de se réformer. La pandémie, la guerre en Ukraine et la crise de l'énergie à grande échelle que nous avons connue ont été des moments difficiles pour nous tous. Mais en Europe, ces événements nous ont aussi montré que lorsque nous adoptons une mentalité de l'urgence, nous devenons une force capable de déplacer des montagnes. Du développement de vaccins au soutien inébranlable à l'Ukraine ou à la sécurité énergétique, l'Europe a fait la preuve qu'elle pouvait être à la hauteur des événements. Nous devons adopter cette mentalité de l'urgence de manière plus permanente.
C'est pourquoi ce que vous avez vu au cours des 100 premiers jours de la nouvelle Commission correspond au ton et au rythme que j'ai l'intention de donner à l'ensemble du mandat. Nous améliorons notre compétitivité. Nous renforçons la défense. Nous favorisons l'innovation en matière d'intelligence artificielle. Dans cette nouvelle réalité, l'action est primordiale. Et nous savons qu'une Europe plus forte est dans notre intérêt à tous. Une Europe plus forte travaille avec les États-Unis pour éloigner les menaces que nous avons en commun en tant que partenaires. C'est pourquoi nous pensons que les guerres commerciales et les tarifs douaniers exorbitants n'ont aucun sens. Les droits de douane agissent comme une taxe. Ils alimentent l'inflation. Les plus durement touchés sont inévitablement les travailleurs, les entreprises et les classes moyennes des deux côtés de l'Atlantique. Nous savons par ailleurs à quelle vitesse les droits de douane peuvent affecter les chaînes d'approvisionnement transatlantiques essentielles. Nous ne pensons pas qu'il s'agisse là d'une bonne manière de faire des affaires. De même, nous voulons éviter un nivellement par le bas à l'échelle mondiale. Cependant, comme nous l'avons déjà dit clairement, les droits de douane injustifiés imposés à l'UE ne resteront pas sans réponse. Je vais être franche. Nous sommes l'un des plus grands marchés du monde. Nous emploierons les outils à notre disposition pour préserver notre sécurité et nos intérêts économiques et nous protégerons nos travailleurs, nos entreprises et nos consommateurs en toutes circonstances. Bien entendu, nous sommes prêts à trouver des accords profitables à tous, à travailler de concert pour accroître la prospérité et la sécurité de toutes les parties.
Mesdames et Messieurs,
Ce qui se joue ici, c'est évidemment: la défense et la sécurité de l'Ukraine, de notre continent et, au-delà, celles du monde. Tous autant que nous sommes, nous sommes bien conscients des enjeux – du fait que nous vivons un moment historique. De nouveaux défis d'envergure se profilent à l'horizon. Ces derniers jours ont été riches en discussions. Mais il est toujours instructif d'examiner ce qui se cache derrière les mots. Et de prendre acte du fait que nous n'en sommes qu'aux prémices de ce processus.
Récapitulons les positions de départ : comparons l'approche adoptée par le Président Zelenskyy avec celle du Président Poutine. Dans des circonstances on ne saurait plus difficiles, le Président Zelenskyy est prêt à œuvrer en faveur d'une paix qui soit digne du sacrifice de son pays et de ses compatriotes tombés au combat. Comme l'a dit dès le début Volodymyr Zelenskyy, l'Ukraine souhaite la paix avant toute chose. Une paix juste et durable, afin que les atrocités de ces dernières années ne se produisent plus jamais. Le Président Poutine, quant à lui, se dit prêt à un compromis, mais à quelles conditions ? C'est à lui qu'il appartiendra de démontrer que son but n'est pas de prolonger cette guerre. C'est à lui qu'il appartiendra de prouver qu'il a renoncé à son ambition de détruire l'Ukraine. Et je le dis sans ambages : la déroute de l'Ukraine affaiblirait non seulement l'Europe, mais aussi les États-Unis. Elle accroîtrait les défis dans la région indo-pacifique et ferait peser une menace sur nos intérêts communs. Car ce que nous avons pu constater, c'est que les despotes de ce monde observent de très près si l'on peut envahir son voisin et violer des frontières internationales en toute impunité. Ou si de véritables mesures dissuasives sont mises en place. Ils nous regardent, ils surveillent les actions que nous décidons d'entreprendre. C'est pourquoi il est si important de faire les bons choix.
L'Ukraine a besoin de la paix par la force. L'Europe souhaite la paix par la force. Et comme l'a affirmé très clairement le Président Trump, les États-Unis sont fermement décidés à obtenir la paix par la force. Je pense donc qu'en travaillant main dans la main, nous pourrons obtenir une paix juste et durable. L'Europe a déjà beaucoup apporté à la cause. Des montants historiques, à vrai dire. Le soutien qu'elle a fourni sur le plan financier et militaire se chiffre globalement à 134 milliards d'euros. Personne d'autre n'a autant contribué. Cette contribution comprend une assistance militaire à hauteur de 52 milliards de dollars – à égalité avec les États-Unis. Et nous avons adopté de lourdes sanctions, essentiellement destinées à affaiblir l'économie de la Russie. Nous avons brisé un tabou après l'autre et rompu notre dépendance à l'égard du gaz russe, ce qui nous a rendus plus résilients — et ce définitivement. Et nous avons d'autres projets. Nous travaillons avec l'Ukraine à son adhésion à l'UE. Car l'Ukraine fait partie de notre famille européenne. Et c'est là qu'est son avenir.
Mesdames et Messieurs,
Cela m'amène aux discussions que nous avons eues en Europe ces dernières semaines. Dans les sphères de la sécurité en Europe, nombreux sont ceux qui ont été déconcertés, voire inquiétés, par les propos tenus au début de la semaine par de hauts responsables américains. Mais il nous faut être honnêtes à cet égard. Rien ne sert de crier au scandale, de faire un tollé. Parce que si nous examinons ces remarques sur le fond, non seulement nous comprenons ce qui les a suscitées, mais nous devons admettre que nous pouvons être d'accord sur certains points. Car c'est vrai, l'Union européenne tout comme les États-Unis veulent que le bain de sang prenne fin. Nous voulons une paix juste et durable, qui conduise à une Ukraine souveraine et prospère. Et il faut que de solides garanties de sécurité soient données à l'Ukraine. Mais ce qui trouve sans doute le plus d'écho en moi, c'est la nécessité que l'Europe non seulement parle avec franchise mais agisse aussi en conséquence. Ne laissons donc aucune place au doute. Je pense qu'en ce qui concerne la sécurité européenne, l'Europe doit en faire plus. L'Europe doit contribuer davantage. Et pour cela, il faut une hausse des dépenses européennes dans le domaine de la défense. Actuellement, l'UE-27 consacre environ 2 % de son PIB à la défense. Oui, c'est vrai, nos dépenses de défense sont passées d'à peine plus de 200 milliards d'euros avant la guerre à plus de 320 milliards d'euros l'an dernier. Mais il nous faut encore augmenter ce chiffre considérablement. Car passer d'un peu moins de 2 % à plus de 3 %, cela veut dire des centaines de milliards d'euros d'investissements de plus chaque année. Il nous faut donc une approche audacieuse.
Regardons un peu dans le rétroviseur. Lors de précédentes crises extraordinaires, voyez ce que nous avons accompli. Nous avons donné aux États membres une plus grande marge de manœuvre budgétaire en activant la clause de sauvegarde. Pour le dire plus simplement, nous avons permis aux États membres d'augmenter considérablement les investissements publics liés à la crise. Il me semble que nous traversons actuellement une nouvelle période de crise, qui nécessite une approche similaire. C'est pourquoi je peux annoncer que je proposerai d'activer la clause de sauvegarde pour les investissements dans le domaine de la défense. Cela permettra aux États membres d'augmenter sensiblement leurs dépenses de défense. Bien entendu, nous le ferons de manière contrôlée et en posant des conditions. Et nous proposerons également une panoplie plus large d'instruments sur mesure adaptés à la situation spécifique de chacun de nos États membres, prenant en considération notamment leur niveau actuel de dépenses de défense et leur situation budgétaire. Deuxièmement, pour un train de mesures massif dans le domaine de la défense, il nous faut aussi une approche européenne pour définir les investissements prioritaires. Cela nous permettra d'investir dans d'indispensables projets d'intérêt européen commun dans le domaine de la défense. Troisièmement, nous allons redoubler d'efforts pour accélérer le processus d'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne. Nous avons déjà réalisé des projets significatifs, mais il nous faut à présent de nouveau déplacer des montagnes. Mon message est le suivant : vous avez devant vous une Europe qui s'adapte, une Europe qui avance, une Europe qui compte – immédiatement.
Mesdames et Messieurs,
C'est en définitive de nous dont il est question dans ces discussions aujourd'hui. De notre prospérité, de notre économie, de notre sécurité, de nos frontières, de notre capacité à tenir la promesse européenne d'une paix durable. Nos valeurs ne changent pas – elles sont universelles. Mais comme le monde change, nous devons adapter notre manière d'agir. Il nous faut une Europe plus pragmatique, plus vigilante, plus déterminée. Une Europe qui contrera les menaces qui pèsent sur elle, une Europe qui tirera parti de ses atouts et de sa puissance considérables, une Europe qui se tient aux côtés de l'Ukraine et de ses partenaires. Une telle Europe peut accomplir beaucoup de choses – et elle saura se montrer à la hauteur.
Vive l'Europe.
Détails
- Date de publication
- 14 février 2025
- Auteur
- Représentation en France