Le 6 décembre 2024, l’Union européenne et le Mercosur sont parvenus à un accord politique sur leur partenariat en vue d’un renforcement de leur coopération géopolitique et économique. Avant cette annonce, le 18 novembre 2024, des agriculteurs français avaient entrepris des mobilisations pour dénoncer l’immobilisme et les promesses non tenues par le gouvernement ainsi que la possible signature de l’accord UE-Mercosur. Quelques narratifs trompeurs se sont fait une place dans le débat. Les Décodeurs de l’Europe vous aident à distinguer le vrai du faux.
Que contient l’accord UE-Mercosur ?
L’alliance économique Mercosur, créée par le Traité d’Ascension le 26 mars 1991, est constituée de l’Argentine, du Brésil, de l’Uruguay, du Paraguay et depuis 2023 de la Bolivie (non inclus dans l’accord). Depuis 1999, l’Union européenne et le Mercosur négocient un accord d'association ayant deux objectifs : le développement des relations commerciales et la promotion de la coopération et du dialogue politique entre les deux parties. Un accord a été conclu le 28 juin 2019 ; les négociations actuelles portent uniquement sur l’ajout d’un protocole additionnel centré sur le développement durable et notamment la lutte contre la déforestation et le changement climatique (accord de Paris).
Le volet libre-échange éliminera à terme 91% des droits de douane imposés par les pays du Mercosur sur les produits européens et 92% des droits de douane appliqués par l’Union européenne sur les produits sud-américains qui arrivent dans l’Union.
Pourquoi cet accord est important dans le contexte géopolitique actuel ?
Cet accord présente une importance géopolitique pour les deux régions, comptant au total plus de 700 millions d'habitants, notamment en renforçant la coopération pour relever des défis mondiaux tel que le changement climatique ou la transition numérique. Dans un contexte géopolitique marqué par une certaine instabilité, les accords commerciaux avec des partenaires alliés jouent un rôle important pour assurer la sécurité économique, garantir des approvisionnements essentiels, réduire les dépendances, faciliter l’accès à des ressources stratégiques et protéger les chaînes de valeur.
Quels sont les principaux avantages pour les entreprises de l’UE et pour la France ?
L’accord a vocation à supprimer les droits de douanes actuellement élevés dans des secteurs clés de l’Union européenne : les voitures et pièces détachées, les machines, les produits chimiques et les produits pharmaceutiques.
Pour la France particulièrement, les exportations de biens vers le Mercosur représentent 5,56 milliards d’euros. L’accord permettra de réaliser d’importantes économies sur les droits de douane, d’ouvrir le marché des services du Mercosur aux entreprises françaises. La suppression des tarifs douaniers sur les exportations françaises concerne :
- Le secteur des machines et équipements électriques (appareils téléphoniques, appareils informatiques…) : exportations françaises vers le Mercosur représentant 1.2 milliards d’euros en 2018 et 234 000 emplois en France ;
- Le secteur du matériel de transport (aéronautique, voiture …) : exportations françaises vers le Mercosur représentant 1,76 milliard d’euros en 2018 et 372 000 emplois en France ;
- Produits chimiques et pharmaceutiques : exportations françaises vers le Mercosur représentant 1,37 milliard d’euros en 2018 ;
- Produits plastiques et caoutchouc : exportations françaises vers le Mercosur représentant 264 millions d’euros en 2018 ;
- Instruments optiques, médico-chirurgicaux, de mesure et de photographie : exportations françaises vers le Mercosur représentant 189 millions d’euros en 2018.
L’accord prévoit aussi la protection des produits et boissons sous appellation géographique français : certains fromages (Comté, Gruyère…), certains vins et spiritueux (Chablis, Champagne, Rhum de la Guadeloupe…), le riz de Camargue, certaines viandes et porcs (Bœuf de Charolles, jambon de Bayonne…), certains beurres (Beurre des Charentes …), les Huîtres Marennes d’Oléron, les pruneaux d’Agen ainsi que l’huile essentielle et l’essence de lavande de haute Provence.
Quel est le volet agricole de l’accord ?
L’agriculture fait partie des secteurs concernés par l’accord UE-Mercosur. C’est ce volet qui rencontre l’opposition d’une partie de la filière agricole en France, les agriculteurs redoutant une concurrence jugée déloyale face à l'afflux des produits en provenance du Mercosur. L’accord est souvent appelé « viandes contre voiture » puisqu’il devrait permettre aux entreprises européennes d’exporter davantage de produits industriels et de services alors qu’en retour les pays du Mercosur devraient exporter davantage de produits alimentaires et agricoles vers l’Union européenne. Toutefois, le secteur agricole de l’Union européenne bénéficiera lui aussi de cet accord puisqu’il devrait réaliser des exportations supplémentaires (vins et spiritueux, produits laitiers ...) et voir de nombreux produits sous appellation protégés dans les pays du Mercosur. Aussi, afin de protéger sa filière agricole et de contenir le volume des produits sud-américains sur le marché européen, l’Union européenne a négocié différents quotas et mesures de protections.
Quels sont les quotas prévus par l’accord UE-Mercosur ?
Pour limiter l'afflux de produits agricoles ou alimentaires très concurrentiels en Europe, la Commission européenne a négocié des quotas alimentaires à droits de douane réduits. Ceci veut donc dire que les produits importés des pays du Mercosur au-delà de ces quotas seront soumis aux droits de douane normaux. Les quotas déterminés sont les suivants :
- L’Union Européenne autorisera l’entrée sur son marché de 99 000 tonnes de viande bovine assujetties à un droit de 7,5% (1,6% de la production totale de l’Union européenne-les exportations actuelles de viande bovine en provenance du Mercosur vers l’Union européenne représentent un total de 200 000 tonnes) ;
- L’Union européenne autorisera l’entrée sur son marché de 180 000 tonnes de volaille en franchise de droits (1,4% de la production totale de l’Union européenne) ;
- L’Union européenne autorisera l’entrée sur son marché de 16 millions de tonnes de sucre en franchise de droit (1,2% de la consommation dans l’Union européenne);
- L’Union européenne autorisera l’entrée sur son marché de 450 000 tonnes pour l’éthanol destiné à l’industrie chimique ;
- L’Union européenne autorisera l’entrée sur son marché de 60 000 tonnes de riz en franchise de droits (2% de la consommation dans l’Union européenne).
Ces concessions limitées, ou « quotas », sont assorties de clause de sauvegarde visant à protéger le marché de l’Union européenne en cas de préjudice grave causé par les importations du Mercosur. Aussi, afin de rassurer, la Commission européenne s’est engagée à soutenir financièrement les secteurs, notamment par l’allocation de fonds d’urgence, au-delà des clauses de sauvegarde, en cas de grave perturbation du marché.
Pourquoi y a-t-il encore des négociations alors qu’un accord de principe a été conclu en 2019 ?
La France a fait savoir qu’elle ne soutiendrait l’accord qu’à trois conditions : « ne pas augmenter la déforestation importée dans l’Union européenne, mettre l’accord en conformité avec l’accord de Paris sur le climat et instaurer des mesures miroirs en matière sanitaire et environnementale ». La partie en cours de négociation porte donc sur l’ajout en annexe d’un protocole additionnel à l’accord en vue de garantir le respect des normes environnementale.
Quels sont les engagements pris en matière environnementale ?
En 2020, un rapport rendu au Premier ministre français a souligné les potentiels effets que pourrait avoir l’accord sur l’accroissement des émissions de gaz à effet de serre ainsi que sur la déforestation. En effet, les pâturages destinés à l’élevage bovin et les cultures de soja, utilisées pour nourrir les animaux, se multiplient, ont besoin d’espace et empiètent de plus en plus sur les écosystèmes forestiers d’Amérique du Sud, entraînant leur destruction. Un protocole comprenant un engagement potentiellement contraignant des parties à mettre en œuvre l’accord de Paris et à lutter contre la déforestation est en négociation. Lorsqu’une partie ne respecte pas un engagement du chapitre sur le commerce et le développement durable, il est possible de recourir au mécanisme de règlement des différends. Enfin, le 31 mai 2023, a été adopté le règlement « zéro déforestation » portant sur les chaînes d’approvisionnement et garantissant qu’un ensemble de biens mis sur le marché de l’Union européenne ne contribuera plus à la déforestation et à la dégradation des forêts. Ce règlement qui est entré en vigueur le 29 juin 2023 et qui s’appliquera à partir du 30 décembre 2025, concerne notamment la mise sur le marché européen du soja ou de la viande bovine.
Quel niveau de respect pour les normes sanitaires ?
Toutes les conditions sanitaires en vigueur au sein de l’Union européenne restent en place avec l’accord UE-Mercosur : par exemple, les OGM interdits dans l’Union européenne ne peuvent pas être importés, les denrées alimentaires importées doivent respecter les teneurs maximales en résidus de pesticides fixées par l’Union européenne et depuis une directive de 1981, il est interdit d’importer des viandes dont la croissance a été stimulée par des hormones.
Tous les produits importés au sein de l’Union européenne doivent respecter les normes sanitaires et phytosanitaires. Cela ne signifie pas que les normes de production soient exactement les mêmes entre un pays tiers et les pays de l’Union européenne.
Ainsi, concernant les pesticides, il peut arriver que les produits importés aient été traités avec des substances non autorisées dans l’Union européenne et soient importés tout de même. En effet, les conditions de production sont différentes entre l’Union et les pays tiers dans la mesure où les états tiers, souverains, décident de leurs conditions de production. Toutefois, cette présence de pesticide dans des produits importés n’est possible que si les résidus de ces pesticides sont inférieurs à une limite maximale fixée par l’EFSA (l’Autorité européenne de sécurité des aliments).
Pour s’assurer que ces règles sont respectées, deux types de contrôles sont effectués :
- des contrôles portant sur les systèmes de production des pays tiers sont effectués par les services de la Commission européenne ;
- des contrôles portant sur les produits lors de leur arrivée aux frontières de l’Union européenne sont effectués par les douanes des États-Membres. En octobre dernier, un audit réalisé au Brésil par la Commission européenne a alerté sur le manque de traçabilité de la viande bovine que le Brésil exporte vers l’Union européenne : les autorités brésiliennes n’ont pas pu vérifier que les exportations de viande de génisse ne présentaient pas de trace d’œstradiol bêta, hormone interdite dans l’Union européenne. Dès la réception de l’audit, le Brésil a arrêté l’exportation de viande bovine femelle. Cet exemple montre bien l’efficacité des contrôles opérés par l’Union européenne au niveau des systèmes de production des pays tiers.
Le recours à des clauses miroirs (réciprocité des normes de production) est évoqué régulièrement pour « protéger les producteurs européens ». Toutefois, le recours à ces clauses pourrait exercer une pression sur la compétitivité des industries européennes, qui utilisent aussi les importations. Cela aurait pour conséquence d’augmenter les coûts pour les consommateurs européens.
Où en est-on dans le processus d’adoption de l’accord ?
Après le mandat de négociation donné par le Conseil de l’Union à la Commission européenne en 1999, celle-ci est parvenue à un accord de principe le 28 juin 2019. Les récentes négociations ne portaient pas sur l’accord de principe mais sur l’ajout d’un protocole additionnel. Ces négociations ont été actées et finalisées dans l’accord politique signé le 6 décembre dernier à Montevideo. Les prochaines étapes sont les suivantes : le texte de l’accord sera tout d’abord vérifié par des juristes et traduit dans toutes les langues de l’Union ; la Commission transmettra alors une proposition au Conseil et au Parlement pour signature et conclusion de l’accord. Cette proposition peut prendre différentes formes selon la base juridique choisie : un accord mixte qui requiert l’approbation de l’Union et de tous les États membres avant d’entrer en vigueur ou deux accords distincts, l’un mixte (approbation de l’Union et de tous les États membres) et l’autre ne relevant que de la compétence exclusive de l’Union (nécessitant uniquement une ratification de la part de l’Union).
Il revient, après transmission de la proposition par la Commission, au Conseil de l’Union européenne, composé des ministres des 27 États membres, de se saisir de la procédure d’adoption de l’accord.
Détails
- Date de publication
- 18 décembre 2024
- Auteur
- Représentation en France