On l’entend de plus en plus dans le débat public : la souveraineté nationale serait menacée par la primauté du droit européen. Selon certains, la seule solution serait de s’affranchir, partiellement ou totalement, ponctuellement ou définitivement, des règles européennes pour sauvegarder la souveraineté nationale. Autrement dit, mettre fin à la primauté du droit européen.
La construction européenne est avant tout une union de valeurs et de droit. Le droit de l’Union est le fruit d’un long processus de construction entamé au XXe siècle. Oui, les États ont choisi librement de partager leur souveraineté nationale, c’est la définition même de l’Union européenne. C’est grâce à cette imbrication des ordres juridiques nationaux et européen, que l’Union existe, fonctionne et avance, pour « créer une union sans cesse plus étroite entre les peuples d’Europe » (article 1 du traité sur l’Union européenne). Le principe de primauté du droit de l’Union sur le droit national a été posé dès 1964 par la Cour de justice européenne. La justice française l'a reconnu : la Cour de cassation en 1984, le Conseil d’État en 1998. Ce principe assure aux autorités publiques, citoyens et entreprises que les normes adoptées au niveau de l’Union européenne sont appliquées dans tous les États membres.
Petit retour historique sur le rôle du droit dans le processus de construction européenne
Peu après la fin de la Seconde Guerre mondiale, le fonctionnement de l’État et la vie politique dans nos pays démocratiques ont été profondément modifiés par un double phénomène.
D’une part, l’apparition d’un tribunal constitutionnel, pour fixer les règles de conduite que les citoyens et les partis, mais également l’État et ses institutions, étaient tenus de respecter. D’autre part, la relance de l’idée d’un nouvel ordre européen.
Par rapport aux organisations classiques d’États, l’UE découle du « concept de l’intégration », sans qu’il y ait eu de fusion des souverainetés nationales. Les États membres n’étaient en effet pas prêts à renoncer, au profit d’un État fédéral européen, à la structure de leur État nation récemment retrouvée et consolidée après la Seconde Guerre mondiale. Ils sont donc parvenus à un compromis qui, sans devoir ériger un État fédéral européen, allait toutefois plus loin qu’une simple coopération entre États.
Le droit au fondement de la logique d’intégration européenne
Pour construire l’Europe, les États (aujourd’hui 27) ont conclu entre eux des traités instituant des Communautés européennes, puis une Union européenne, dotées d’institutions qui adoptent des règles de droit dans des domaines déterminés par les traités. Ces traités constituent le droit primaire, qui prime sur toute autre source de droit national (constitution, lois, règlements) ou de l’Union (règlements, directives, décisions).
La Commission européenne est chargée de veiller à ce que tous les pays de l’UE appliquent correctement la législation de l’Union. C’est pourquoi on l’appelle la « gardienne des traités ».
De son côté, la Cour de justice de l’Union européenne joue le rôle de « Cour Constitutionnelle » de l’UE. Sa mission consiste à examiner la légalité des actes de l’Union et à assurer une interprétation et une application uniformes du droit de celle-ci dans toute l'Union.
Au fil de sa jurisprudence, la Cour de justice a dégagé l’obligation pour les administrations et les juges nationaux :
- d’appliquer le droit de l’Union à l’intérieur de leur sphère de compétence et de protéger les droits conférés par celui-ci aux citoyens. Selon ce principe, le droit de l’Union ne crée pas seulement des obligations réciproques entre les États membres, mais produit, au profit des citoyens et entreprises, des effets immédiats en leur conférant des droits individuels que les autorités et juridictions nationales doivent sauvegarder ;
- et de laisser inappliquée toute disposition contraire du droit national, qu’elle soit antérieure ou postérieure à la norme de l’Union.
Un processus décisionnel partagé
Dans les traités de l’Union sont ainsi détaillés les domaines de compétences. C’est le principe des compétences d’attribution : l’UE et ses institutions sont dotées uniquement des compétences qui leur ont été attribués par les États membres dans les traités.
Il y a ainsi trois catégories de compétences :
- Des compétences exclusives de l’UE (article 3 du traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE)) dans les domaines dans lesquels il est présumé qu’une mesure au niveau de l’UE est plus efficace qu’une mesure non coordonnée d’un quelconque État membre. Ces domaines sont délimités avec précision et englobent l’union douanière, l’établissement des règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur, la politique monétaire de l’euro, la politique commerciale commune, etc. Dans ces domaines d’action, seule l’UE peut légiférer et adopter des actes juridiquement contraignants. Les États membres ne peuvent le faire par eux-mêmes que s’ils sont habilités par l’Union, ou pour mettre en œuvre les actes de l’Union (article 2 du TFUE) ;
- Des compétences partagées entre l’UE et les États membres (article 4 du TFUE) dans les domaines où l’action de l’UE apporte une plus-value par rapport à une action des États membres. Ces domaines sont les plus nombreux : marché intérieur, cohésion économique, sociale et territoriale, agriculture et pêche, environnement et transports, réseaux transeuropéens, énergie, espace de liberté, de sécurité et de justice. Les États membres exercent leur compétence dans la mesure où l’UE n’exerce pas la sienne ou a décidé de cesser de l’exercer (article 2 du TFUE), par exemple si un acte législatif est abrogé.
- Des compétences d’appui (article 6 du TFUE) : l’UE intervient exclusivement pour coordonner ou compléter l’action des États membres ; elle ne peut en aucun cas harmoniser les dispositions de droit national dans ces domaines, où elle n'a qu'une compétence d’appui. Cette catégorie de compétences comprend la protection et l’amélioration de la santé humaine, l’industrie, la culture, le tourisme, l’éducation, la jeunesse, le sport, la formation professionnelle, la protection civile et la coopération administrative. Dans les domaines de la politique économique et de l’emploi, les États membres reconnaissent explicitement que leurs mesures nationales doivent être coordonnées au sein de l’UE.
Par exemple, en matière migratoire, l’asile et l’immigration font l’objet d’une compétence partagée entre États membres et l’Union. En aucun cas, l’UE ne peut décider à la place d’un État membre de sa politique de visa ou de ses conditions d’octroi du statut de réfugié. De plus, dans ce domaine, la France a également signé et ratifié des accords internationaux qui l’engagent. Par exemple, la France a ratifié la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés, qui définit les modalités d’octroi du statut de réfugié ainsi que les droits et devoirs de ces personnes. La France a également signé des traités internationaux comme la Convention européenne des droits de l’Homme signée par les 47 pays membres du Conseil de l’Europe ou le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, dans le cadre de l’Organisation des Nations Unies.
Rappelons également que si la Commission européenne peut proposer une législation, selon ses compétences, les décisions qui sont adoptées à la fin du processus législatif, le sont à la fois par les gouvernements des États membres représentés au sein du Conseil de l’Union européenne et par les représentants des citoyens européens au Parlement européen, élus tous les cinq ans.
Remettre en cause le droit de l’Union : une menace pour l’édifice européen
Remettre en cause la primauté du droit européen par rapport au droit national menace de détruire l’ensemble de l’édifice européen. Sans primauté, il n’y a plus d’intégration européenne : la législation européenne varierait d’un État membre à l’autre, au bon vouloir des États membres et des juges nationaux. Les citoyens et les entreprises perdraient la garantie que les normes de l’Union soient appliquées partout dans l’Union de la même manière. L’application de normes serait alors constamment soumise à la menace d’un blocage par un État membre dont la spécificité pourrait mettre à mal toute l’efficacité et l’utilité de l’UE. L’UE ne serait plus une Union, mais une organisation internationale régionale sans réelle portée ni efficacité. Autant dire que s’en serait terminé de l’UE !
Pour en savoir plus
Le processus de décision de l’UE
Détails
- Date de publication
- 12 mai 2024
- Auteur
- Représentation en France