La Commission européenne a interdit, en vertu du règlement de l'UE sur les concentrations, le projet d'acquisition de Flugo Group Holdings AB («eTraveli») par Booking Holdings («Booking»). Cette acquisition aurait permis à Booking de renforcer sa position dominante sur le marché des agences de voyages en ligne («AVL») dans le domaine hôtelier dans l'Espace économique européen («EEE»). Booking n'a pas offert de mesures correctives suffisantes pour répondre à ces préoccupations.
L'enquête de la Commission
La décision d'aujourd'hui fait suite à une enquête approfondie de la Commission sur l'opération, qui aurait combiné Booking et eTraveli, deux prestataires de services d'AVL de premier plan dans un secteur concentré. Booking est la première AVL dans le domaine hôtelier, tandis qu'eTraveli est l'un des principaux prestataires de services d'AVL dans le domaine des voyages aériens en Europe. Booking exerce également ses activités sur le marché des services de métarecherche, principalement au moyen de sa plateforme de comparaison de prix KAYAK.
Les AVL fournissent un service d'intermédiation important, en faisant correspondre la demande et l'offre de services de voyage, lesquelles comprennent l'hébergement, les vols, la location de voitures et les attractions. Dans l'EEE uniquement, les AVL traitent des opérations d'une valeur supérieure à 100 milliards d'euros par an. Les services d'AVL dans le domaine hôtelier constituent le segment le plus important et le plus rentable du marché des AVL, représentant environ 40 milliards d'euros par an.
Au cours de l'enquête, la Commission a reçu un retour d'information de la part d'un grand nombre de parties prenantes, y compris des hôtels et des AVL concurrentes. Les acteurs du marché craignaient que l'opération ne renforce la position dominante de Booking sur le marché des AVL dans le domaine hôtelier dans l'EEE, ne réduise la concurrence et n'augmente les prix pour les hôtels et, éventuellement, pour les consommateurs.
La décision de la Commission
La Commission a constaté que l'opération aurait renforcé la position dominante de Booking sur le marché des AVL dans le domaine hôtelier, ce qui aurait entraîné des coûts plus élevés pour les hôtels et, éventuellement, pour les consommateurs. Plus précisément, la Commission a constaté ce qui suit
- Booking est l'AVL dominante dans le domaine hôtelier dans l'EEE, ayant connu une croissante constante ces dix dernières années pour atteindre une part de marché supérieure à 60 %. Il n'existe qu'un seul concurrent important sur le marché, qui est toutefois beaucoup plus petit et se concentre principalement sur le marché américain. Les AVL concurrentes ne sont pas en mesure d'exercer une pression concurrentielle suffisante sur les prix à l'égard de Booking, qui est donc libre de facturer des commissions plus élevées aux hôtels que certains de ses principaux concurrents. Qui plus est, Booking bénéficie des effets de réseau car elle a développé un éventail significatif dans son offre hôtelière qui, à son tour, attire un nombre toujours plus important de consommateurs;
- l'opération aurait permis à Booking d'acquérir un canal principal d'acquisition de clients. Après l'hébergement, les services d'AVL dans le domaine des voyages aériens constituent le deuxième plus grand marché des AVL et le complément le plus proche de l'activité principale d'AVL dans le domaine hôtelier de Booking. Les services d'AVL dans le domaine des voyages aériens sont un important canal d'acquisition de clients pour les AVL dans le domaine hôtelier, car ils génèrent un volume considérable de trafic et sont souvent la première étape de la planification d'un voyage. Sur le marché des AVL dans le domaine des voyages aériens, eTraveli est une AVL parmi les plus performantes et le deuxième acteur dans l'EEE. Booking aurait pu tirer parti des capacités d'eTraveli pour devenir la principale AVL spécialisée dans les voyages aériens en Europe;
- l'opération aurait permis à Booking d'étendre son écosystème de services de voyage, qui s'articule autour de son activité d'AVL dans le domaine hôtelier. Un produit d'AVL dans le domaine des voyages aériens est une voie de croissance cruciale dans cet écosystème, car il générerait un trafic supplémentaire important vers la plateforme de Booking. La raison en est que, parmi les différents services d'AVL se rapportant à la réservation de voyages, ce sont les voyages aériens qui recèlent la plus grande probabilité de conduire à la vente croisée d'un hébergement. Cela aurait permis à Booking de bénéficier de l'inertie de la clientèle existante, car une part importante de ces consommateurs supplémentaires serait restée sur les plateformes de Booking. Par conséquent, les concurrents auraient eu davantage de difficultés pour contester la position de Booking sur le marché des AVL dans le domaine hôtelier à la suite de l'opération;
- en augmentant le trafic vers les plateformes de Booking et les ventes sur celles-ci, l'opération aurait renforcé les effets de réseau et accru les barrières à l'entrée et à l'expansion, rendant plus difficile pour les AVL concurrentes le développement d'une clientèle capable de soutenir une activité d'AVL dans le domaine hôtelier. Les AVL qui sont actuellement en voie de devenir des concurrents à part entière risquent de ne pas être en mesure d'y parvenir si l'opération se poursuit;
- le renforcement de la position dominante de Booking aurait encore consolidé sa position de négociation par rapport aux hôtels et détourné la demande de circuits de vente moins chers vers Booking, ce qui se serait traduit par des coûts plus élevés pour les hôtels et, éventuellement, pour les consommateurs.
Les mesures correctives proposées par Booking
Les mesures correctives offertes par Booking ne répondaient pas adéquatement aux préoccupations de la Commission en matière de concurrence, d'une manière autorisant à conclure que la concurrence serait préservée sur une base durable. Booking a proposé de montrer aux consommateurs achetant des voyages aériens un écran de choix sur la page de règlement des vols, qui est la page affichée aux voyageurs après l'achat de leurs billets d'avion. Sur cet écran de choix, Booking proposait d'afficher plusieurs offres d'hôtels provenant d'AVL concurrentes dans le domaine hôtelier, permettant aux consommateurs de cliquer sur l'offre affichée pour être redirigés vers le site web de l'AVL dans le domaine hôtelier concernée. L'écran de choix présentait les caractéristiques suivantes:
- il aurait été alimenté par KAYAK, le service de métarecherche de Booking;
- il aurait été affiché sur la plateforme de réservation de vols de la marque Booking.com et sur celle de la marque eTraveli. Il aurait été montré aux consommateurs achetant des vols situés dans l'EEE et aux consommateurs achetant des vols situés en dehors de l'EEE et voyageant dans l'EEE;
- il aurait affiché quatre options hôtelières proposées par des AVL. Un menu déroulant apparaissant sous chacune des quatre options hôtelières aurait contenu jusqu'à quatre offres supplémentaires provenant d'autres AVL dans le domaine hôtelier pour le même hôtel;
- l'AVL recommandée, à savoir celle apparaissant en premier lieu, aurait été celle offrant le prix le plus bas pour chaque hôtel. L'algorithme de KAYAK aurait été utilisé pour: i) sélectionner les quatre hôtels affichés sur l'écran de choix; et ii) sélectionner les AVL supplémentaires affichées dans le menu déroulant pour chaque hébergement. L'algorithme de KAYAK comprend un mécanisme d'enchères, ce qui signifie que Booking aurait été rémunérée par ses concurrents pour les renvois depuis l'écran de choix;
- les AVL dans le domaine hôtelier auraient été affichées à condition de remplir les critères suivants: i) le respect des normes techniques et de qualité de KAYAK pour les AVL partenaires; et ii) la génération d'au moins 60 % de leurs recettes totales en matière d'hébergement à partir de la vente de chambres d'hôtel. Les offres de Booking pouvaient également être affichées.
La Commission a procédé à une analyse approfondie des engagements proposés, notamment en testant leur efficacité auprès des acteurs du marché concernés. Les retours d'information reçus indiquent que les mesures correctives proposées n'étaient pas suffisamment complètes et efficaces et n'éliminaient pas entièrement les problèmes de concurrence recensés. En particulier:
- la sélection et le classement des offres des AVL concurrentes dans le domaine hôtelier n'étaient pas suffisamment transparents et non discriminatoires, étant donné que KAYAK – une filiale de Booking – aurait contrôlé plusieurs aspects de leur mise en œuvre;
- les offres des AVL concurrentes dans le domaine hôtelier n'auraient été affichées que sur la page de règlement des vols et non à l'occasion d'autres possibilités importantes de vente croisée telles que les courriels, les notifications ou d'autres pages du site web. En outre, la page de règlement des vols ne représente qu'une petite partie des possibilités de vente croisée que Booking aurait pu offrir grâce à l'acquisition d'eTraveli;
- les engagements auraient été difficiles à contrôler effectivement, notamment en raison du fonctionnement de l'algorithme de Kayak en tant que boîte noire.
Sur cette base, la Commission a constaté que les mesures correctives offertes par Booking n'étaient pas suffisantes pour résoudre les problèmes de concurrence et empêcher l'opération de nuire à la concurrence. En conséquence, la Commission a décidé de bloquer l'opération envisagée.
Les sociétés et leurs produits
Booking, dont le siège est situé aux États-Unis, exploite des marques d'agences de voyages en ligne telles que Booking.com, RentalCars, Priceline et Agoda. Dans l'EEE, Booking est principalement active dans la fourniture de services d'AVL dans le domaine hôtelier sous la marque Booking.com et, dans une moindre mesure, dans la fourniture de services d'AVL dans le domaine des voyages aériens, qu'elle obtient auprès d'eTraveli.
En outre, Booking propose également des services de métarecherche pour l'hébergement, la location de voitures et les vols par l'intermédiaire de sa plateforme KAYAK (notamment les marques KAYAK, Momondo, Cheapflights, HotelsCombined, entre autres). Elle donne accès aux fonctionnalités d'hébergement de ses services d'AVL, par l'intermédiaire de programmes commerciaux affiliés, à certaines AVL concurrentes qui n'ont pas la capacité de proposer de tels services.
eTraveli, dont le siège social se trouve en Suède, exploite une AVL par l'intermédiaire de ses marques GotoGate, My Trip, Seat24 et SuperSaver. Elle est principalement présente en tant qu'AVL spécialisée dans les voyages aériens.
Règles et procédures en matière de contrôle des concentrations
L'opération a été notifiée le 10 octobre 2022 à la Commission, qui a ouvert une enquête approfondie le 16 novembre 2022. Le 9 juin 2023, la Commission a adressé une communication des griefs à Booking.
La Commission a pour mission d'apprécier les fusions et les acquisitions entre entreprises dont le chiffre d'affaires dépasse certains seuils (voir l'article 1er du règlement sur les concentrations) ou pour lesquelles elle a acquis compétence en vertu d'un renvoi de la part des États membres (voir l'article 4, paragraphe 5, et l'article 22 du règlement sur les concentrations) et d'empêcher les concentrations qui entraveraient de manière significative l'exercice d'une concurrence effective dans l'EEE ou une partie substantielle de celui-ci.
La grande majorité des concentrations notifiées ne posent pas de problème de concurrence et sont autorisées après un examen de routine. À partir de la date de notification d'une opération, la Commission dispose en général d'un délai de 25 jours ouvrables pour décider d'autoriser cette opération (phase I) ou d'ouvrir une enquête approfondie (phase II).
Au cours des dix dernières années, la Commission a autorisé près de 3 500 concentrations. L'interdiction décidée aujourd'hui est seulement la 11e concentration bloquée par la Commission au cours de la même période.
Quatre autres enquêtes de phase II sur des concentrations sont actuellement en cours: i) le projet d'acquisition d'Asiana par Korean Air, ii) le projet de création d'une entreprise commune par Orange et MasMovil, iii) le projet d'acquisition d'iRobot par Amazon et iv) le projet d'acquisition de Figma par Adobe.
Pour en savoir plus
Des informations plus détaillées seront disponibles sur le site web de la DG Concurrence, dans le registre public des affaires de concurrence de la Commission, sous le numéro M.10615.
Citation(s)
L’Europe est une destination touristique de premier plan au niveau mondial, attirant des millions de voyageurs chaque année. Le secteur des voyages joue un rôle essentiel pour l’économie locale de nombreuses régions, villes et zones rurales. L’acquisition d’eTraveli par Booking renforcerait la position dominante de cette dernière sur le marché des agences de voyages en ligne et entraînerait probablement des coûts plus élevés pour les hôtels et, éventuellement, pour les consommateurs. Notre décision de bloquer la concentration signifie que les hôtels et les voyageurs européens ne seront pas limités davantage dans les options disponibles pour offrir leurs services et réserver leurs voyages. Cela signifie également que la dynamique en faveur de prix compétitifs et de l’innovation sera préservée dans cette partie importante du secteur des voyages.
Didier Reynders, commissaire à la justice - 25/09/2023
Pour plus d’information
Site web – Soutien de l'UE à l'Ukraine
Fiche d'information — Solidarité de l'UE avec l'Ukraine — réunion entre le collège des commissaires et le gouvernement ukrainien
Fiche d'information: Solidarité de l'UE avec l'Ukraine
Fiche d'information — Ukraine: Bureau Horizon Europe à Kiev
Fiche d'information — Ukraine: Appui technique aux chercheurs et aux innovateurs
Détails
- Date de publication
- 25 septembre 2023
- Auteur
- Représentation en France