L’état de droit est inscrit parmi les valeurs communes à tous les États membres de l’UE, à l’article 2 du traité sur l’Union européenne. Il garantit que toutes les autorités publiques agissent dans les limites fixées par la loi, conformément aux valeurs de la démocratie et aux droits fondamentaux, sous le contrôle de juridictions indépendantes et impartiales. La notion d’état de droit recouvre les principes de légalité, de sécurité juridique, de protection juridictionnelle effective, de séparation des pouvoirs et d’égalité devant la loi. Le respect de l’état de droit est essentiel pour garantir une application efficace de la législation de l’Union ; l'égalité de traitement de chaque Européen devant la loi, sans ingérence politique ; la lutte contre la corruption et l'utilisation abusive des fonds de l'UE ; la confiance mutuelle et la coopération judiciaire ; le bon fonctionnement de notre marché intérieur et l'existence d’une pluralité de médias indépendants. Les institutions de l’UE ont élargi au fil du temps les instruments dont elles disposent en matière de protection d’état de droit pour développer une approche bien préventive que réactive, qui soit la plus efficace possible.
Des instruments de prévention pour anticiper l’apparition d’atteintes à l’état de droit
L’Union européenne s’est dotée d’un mécanisme européen de protection de l’état de droit pour prévenir l’apparition de dérives en la matière au sein des États membres. Dans ce cadre, la Commission européenne établit un rapport annuel sur l’état de droit, qui examine les évolutions, positives comme négatives, dans l’ensemble de l’UE et dans chaque État membre, dans quatre domaines :
- le système de justice nationale,
- le cadre de lutte contre la corruption,
- le pluralisme et la liberté des médias,
- les questions institutionnelles liées à l’équilibre des pouvoirs.
La Commission a présenté le 5 juillet 2023 son quatrième rapport annuel sur l’état de droit, établi après une large consultation de différents acteurs nationaux, publics et privés, et de la société civile. Ce rapport contient une évaluation des recommandations passées adressées à chaque Etat membre et une série de nouvelles recommandations. Elles ont pour objectif d'aider et de soutenir les États membres dans leurs efforts pour faire avancer les réformes en cours ou prévues, et pour les aider à identifier des améliorations ou d’éventuels changements nécessaires.
Même si 65% des recommandations de l’année dernière ont été mises en œuvre, totalement ou partiellement, des inquiétudes subsistent concernant l’indépendance du pouvoir judiciaire et la situation des médias de service public dans certains Etats membres.
En 2023, la Commission a recommandé à la France de :
• poursuivre ses efforts afin d’achever les projets en cours de numérisation complète des procédures civiles et pénales ;
• poursuivre les efforts déployés pour garantir au système de justice des ressources humaines suffisantes, notamment à travers le développement d’outils de mesure de la charge de travail ;
• veiller à ce que les règles relatives aux activités de lobbying soient appliquées de manière cohérente à tous les acteurs concernés, y compris au plus haut niveau de l’exécutif ;
• intensifier ses efforts pour renforcer la transparence en matière de propriété des médias, en particulier en ce qui concerne les structures d’actionnariat complexes.
En parallèle, l’Union européenne dispose d’un tableau de bord de la justice dans l’UE qui fournit annuellement des données comparables au sein des Etats membres sur l’indépendance, la qualité et l’efficacité des systèmes de justice nationaux.
Les questions liées à l’état de droit font également partie du Semestre européen. Celui-ci permet de promouvoir l’état de droit en débouchant sur des recommandations par pays qui englobent des thématiques telles que la lutte contre la corruption et les systèmes de justice. L’UE apporte également un soutien technique et financier aux États membres pour la mise en œuvre de réformes structurelles qui ont un impact sur l’état de droit.
Des instruments de réaction pour contrôler le respect de l’état de droit
Afin de garantir le respect de l’état de droit, l’UE dispose d’instruments agissant a posteriori en cas d’atteintes, pour une réaction proportionnée et efficace.
Le cadre pour l’état de droit, adopté par la Commission européenne en 2014, constitue un outil d’alerte rapide lui permettant d’engager un dialogue avec un État membre en cas de menaces systémiques pesant sur l’état de droit. Le processus comprend trois étapes : l’appréciation de la Commission sur la situation, une recommandation de la Commission, puis un suivi de cette recommandation par l’État membre concerné.
Si ce cadre n’aboutit à aucune solution, l’article 7 du traité sur l’Union européenne prévoit en dernier recours un mécanisme de contrôle politique du respect des droits fondamentaux dans les États membres, permettant de sanctionner tout État membre responsable de « violation grave et persistante » des valeurs fondatrices de l’UE. Les sanctions peuvent conduire à la suspension des droits de vote du pays en question au Conseil de l’UE, et donc de sa participation à une grande partie des décisions européennes.
Plus récemment, dans le contexte du plan de relance européen NextGenerationEU, il a été jugé indispensable de protéger le budget de l’UE face aux violations de l’état de droit dans un Etat membre.
L’Union dispose ainsi depuis le 1er janvier 2021 d’un règlement de conditionnalité. Il peut s’appliquer dans les cas où des violations des principes de l’état de droit affectent ou risquent de porter atteinte aux intérêts financiers de l’UE. Pour un certain nombre d’États membres, la mise à disposition des fonds est soumise à la condition de réaliser préalablement certaines réformes ou de résoudre des situations affectant l’État de droit.
Le 16 février 2022, la Cour de justice de l’Union européenne a rejeté les recours que la Hongrie et la Pologne avaient formulés contre ce mécanisme de conditionnalité budgétaire. La Cour a rappelé que “le respect des valeurs communes constituait une condition pour la jouissance de tous les droits découlant de l’application des traités à un État membre” et que l’Union devait “être en mesure, dans les limites de ses attributions, de défendre ces valeurs”.
Les procédures d’infraction de l’UE permettent quant à elles de contrôler le respect de l’état de droit par les États membres en garantissant l’application correcte et uniforme du droit de l’Union européenne. C’est le cas du recours en manquement qui permet de faire constater par la Cour de justice de l’Union européenne qu’un État membre n’a pas respecté les obligations découlant de son appartenance à l’UE.
Et en pratique ?
Face aux dérives liées à l’état de droit en Pologne et en Hongrie, l’Union européenne défend ses valeurs et fait preuve de fermeté. Plusieurs procédures d’infraction ont été lancées dès 2017 et des condamnations sont intervenues.
La détérioration de la situation de l'État de droit en Pologne avait déjà conduit la Commission à engager la procédure au titre de l'article 7 en décembre 2017. En septembre 2018, le Parlement européen a décidé de faire de même pour la Hongrie. Ces deux procédures au titre de l'article 7 du TUE sont toujours en cours devant le Conseil de l’UE.
En Hongrie, après l’adoption le 15 juin 2021 d’une législation interdisant la “promotion” de l’homosexualité auprès des mineurs, la Commission européenne a entamé des procédures d’infraction contre cet Etat membre. Une procédure d’infraction a aussi été ouverte contre la Pologne pour violation des droits fondamentaux des personnes LGBTQI.
Par ailleurs, la Cour de justice de l’Union européenne a condamné en octobre 2021 la Pologne à verser une amende journalière d’un million d’euros. Cette amende court jusqu'à ce que Varsovie accepte de se conformer à un arrêt de la Cour, qui avait ordonné en juillet 2021, la cessation immédiate des activités de la chambre disciplinaire de la Cour suprême polonaise et l’annulation des décisions prises par la Pologne concernant la levée de l'immunité des juges. Plus récemment, les deux pays sont à nouveau mis en cause par le rapport sur l’état de droit de 2023.
Le 30 novembre 2022, dans le cadre du mécanisme de conditionnalité budgétaire, la Commission a présenté son évaluation des réformes et de la mise en œuvre par la Hongrie des mesures correctives qui conditionnent le versement du Fonds pour la reprise et la résilience. Malgré un certain nombre de réformes qui ont été engagées ou qui sont actuellement en cours, la Commission estime que des manquements persistent – et aucun paiement au titre du fonds pour la reprise et la résilience ne sera possible tant que la Hongrie n’aura pas pleinement mis en œuvre les réformes nécessaires, notamment dans le domaine de la justice. Le 12 décembre 2022, le Conseil de l’UE a décidé de suspendre 6,3 milliards d’euros d’engagements budgétaires à destination de la Hongrie, car les mesures prises par ce pays n’étaient pas suffisantes.
En décembre 2023, l’Union européenne a cependant débloqué une partie des fonds de la politique de cohésion, 10,2 milliards d’euros, estimant que la Hongrie a pris les mesures qu'elle s'était engagée à prendre pour respecter les conditions visant à améliorer l'indépendance de son système judiciaire.
Cependant, en février 2024, la Commission européenne a lancé une procédure d’infraction contre la Hongrie après l’adoption d’une législation instaurant une autorité de surveillance censée prévenir “les interférences étrangères” dans le processus électoral et “protéger la souveraineté du pays”. Or, cela est contraire au droit de l’Union européenne.
En ce qui concerne la Pologne, grâce aux efforts que le pays a consentis pour rétablir l’état de droit, l’accès aux fonds du plan de relance et des fonds structurels a été débloqué en février 2024.
La Commission européenne continuera à utiliser tous les instruments à sa disposition pour défendre l’État de droit, afin d’apporter une réponse efficace et proportionnée à toute atteinte au respect de ces principes. Cela nécessite une coopération étroite et permanente entre les institutions de l’UE et les États membres. Renforcer l’état de droit pour permettre le bon fonctionnement de l’Union est une priorité pour tous : institutions européennes, autorités nationales, société civile – et nous tous, citoyens européens.
Pour en savoir plus
Rapport 2023 sur l’état de droit
Règlement sur la conditionnalité liée à l’état de droit
Détails
- Date de publication
- 23 mai 2024 (Dernière mise à jour: 4 septembre 2023)
- Auteur
- Représentation en France