Face à la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine et aux multiples sanctions qui ont été prises contre la Russie depuis février 2022, beaucoup se demandent si les sanctions européennes contre la Russie sont efficaces. La réponse est oui ! Les sanctions ont fortement impacté les recettes en devises de la Russie. Elles ont également rompu les chaînes d'approvisionnement de la Russie et limité l'accès de cette dernière aux technologies occidentales dans d'importants secteurs industriels. Les effets des sanctions s'amplifieront au fil du temps.
Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, l’Union européenne a adopté 13 séries de sanctions historiques (un 14ème paquet est en préparation), de grande envergure, afin de priver la machine de guerre russe de ses sources de revenus et des biens et technologies dont elle a besoin. Ces mesures restrictives dépassent désormais le seuil global de près de 2 000 inscriptions - personnes et entités -, et touchent de nombreux secteurs clés de l’économie russe. Alors que la Russie tente de trouver des solutions pour contourner nos sanctions, la Commission européenne évalue constamment l'efficacité des mesures en place, et repère toute lacune éventuelle afin d’y remédier. L'accent est désormais mis sur le contrôle de l'application des sanctions de l'UE, pour lutter contre leur contournement via des pays tiers, notamment grâce à l’action de l’Envoyé spécial international pour la mise en œuvre des sanctions de l'UE, David O’Sullivan.
Au niveau des revenus, nous estimons que l'État russe a probablement 400 milliards d'euros de moins à dépenser. Il était traditionnellement en excédent budgétaire, au niveau de ses dépenses publiques. Aujourd'hui, il accuse un déficit de 2 à 3%. Certes, l'économie russe connaît une légère croissance. Mais il faut regarder de près pourquoi c'est le cas. C'est parce que l'État russe investit massivement dans son armée. 30% des dépenses publiques russes sont aujourd'hui consacrées à l'armée, soit près de 10% du PIB. Si vous mettez votre économie sur le pied de guerre, vous pouvez bien sûr tout réorienter vers l'armée, mais vous cannibalisez l'économie. Il n'y a pas d'investissement dans la protection sociale, l'éducation, la santé, la recherche. Donc le pronostic pour l'économie russe - et c'est là, le troisième objectif, à savoir de réduire sa capacité industrielle - n'est pas bon
David O’Sullivan, envoyé spécial international pour la mise en oeuvre des sanctions de l'UE, 13 décembre 2023
Un embargo pétrolier progressif, une limitation du prix du baril et une réduction drastique des importations de gaz russe qui libèrent l’UE de sa dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie
L'une des principales sanctions a consisté à réduire de 90 % les approvisionnements en pétrole russe de l'UE dès la fin 2022 par rapport à la moyenne mensuelle des trois dernières années, privant ainsi Moscou de revenus importants.
Certes, la Russie, deuxième producteur mondial de pétrole, est en mesure de vendre son pétrole sur d'autres marchés, à des pays tiers, ce qui lui permet de continuer à financer cette guerre. Mais cet avantage est limité par le fait que depuis décembre 2022, l’UE et ses partenaires du G7 ont décidé un plafonnement du prix du baril de pétrole brut russe à 60 dollars. Cette décision réduit considérablement les recettes que la Russie tire du pétrole. Ce plafonnement contribue également à stabiliser les prix mondiaux de l'énergie tout en limitant les conséquences négatives sur l'approvisionnement énergétique des pays tiers. Ce plafond vient s'ajouter à l'embargo de l'UE sur les importations de pétrole brut et de produits pétroliers russes par voie maritime, ainsi qu'aux interdictions imposées par le G7.
Le plafonnement du prix du baril a pour objectif, il faut le rappeler, non d’exclure la Russie du marché mondial, mais de réduire les bénéfices de ses exportations pour limiter ses ressources qui alimentent la guerre. A terme, l'industrie pétrolière russe souffrira aussi du départ des opérateurs étrangers, et de sa difficulté croissante à accéder à des technologies sophistiquées telles que le forage horizontal.
Dernier bénéfice et pas le moindre : cet embargo pétrolier et les efforts pour s’affranchir des importations de gaz russe libèrent l'Europe de sa dépendance énergétique structurelle vis-à-vis de la Russie.
Les sanctions européennes nuisent-elles vraiment à l'économie russe ?
Dans le cadre des sanctions économiques, l'UE a imposé un certain nombre de restrictions à l'importation et à l'exportation à l'encontre de la Russie. La liste des produits interdits est établie de manière à maximiser les effets négatifs des sanctions sur l'économie russe tout en en limitant les conséquences pour les entreprises et les citoyens de l'UE. Les restrictions à l'exportation et à l'importation excluent les produits principalement destinés à la consommation et les produits liés à la santé et à l'alimentation, afin de ne pas nuire à la population russe.
Il y a deux ans, l'UE était le principal partenaire commercial de la Russie. Depuis, les importations totales de l'Union européenne en provenance de la Russie ont chuté de plus de 100 milliards d'euros. Nos exportations vers la Russie ont été considérablement réduites, de plus de 50 milliards d'euros. La Russie a été coupée des technologies de pointe occidentales, de l'innovation et des investissements.
Bien qu'elle exporte des matières premières non transformées, la Russie doit importer de nombreux produits qu'elle ne fabrique pas. Pour les importations de produits de haute technologie, la Russie dépend de l'Europe à plus de 45%, des États-Unis pour 21% et de la Chine pour seulement 11%. La Russie peut bien sûr tenter de limiter les effets des sanctions en substituant des produits nationaux à ces produits importés. Mais, pour les produits de haute technologie, une telle substitution est difficile à réaliser.
Les sanctions sur les importations de semi-conducteurs par exemple ont un impact direct sur les entreprises russes qui produisent de l’électroménager, des ordinateurs, des avions, des voitures ou des équipements militaires. Dans ce domaine, qui est évidemment crucial dans la guerre en Ukraine, les sanctions limitent la capacité de la Russie à produire des missiles de précision.
Le secteur automobile est un autre secteur qui ressent fortement les effets des sanctions. Presque tous les constructeurs étrangers ont décidé de se retirer de Russie et, en mai 2022, la production a diminué de 97 % par rapport à 2021. En outre, les quelques voitures que les constructeurs russes produisent encore ne seront pas équipées d'airbags ou de boîtes de vitesses automatiques.
Il y a également l'industrie aérienne, qui joue un rôle important dans un pays aussi vaste. Environ 700 des 1 100 avions civils russes sont d'origine étrangère. La Russie devra sacrifier une grande partie de sa flotte, pour trouver des pièces de rechange, afin que les avions restants puissent voler. Même les avions produits en Russie sont dépendants des technologies et du matériel des pays occidentaux. Ainsi, il est estimé aujourd’hui que 95% de la flotte aérienne russe n’est pas en mesure d’être réparée ou entretenue correctement. Et la liste pourrait continuer : perte d'accès aux marchés financiers, exclusion de la Russie des grands réseaux internationaux de recherche (comme le CERN par exemple), fuite massive des cerveaux et des élites russes... L'isolement scientifique, économique et technologique de la Russie constitue une perte majeure pour le pays à moyen terme.
De plus, depuis décembre 2023, une interdiction frappe les diamants russes en vue de priver la Russie de cette importante source de revenus.
En ce qui concerne le commerce international, l'alternative offerte par la Chine à l’économie russe reste limitée : alors que ses importations en provenance de Russie ont augmenté (principalement par le biais d'importations énergétiques plus importantes), les exportations chinoises vers la Russie ont diminué dans des proportions comparables à celles des pays occidentaux.
Depuis décembre 2023, une nouvelle clause s'applique aux exportateurs de l'UE qui interdit contractuellement la réexportation vers la Russie et la réexportation en vue d’une utilisation en Russie d’un nombre limité de biens, dans le cadre d'une opération de vente, de fourniture, de transfert ou d'exportation vers un pays tiers, à l’exception des pays partenaires. Cette stratégie produit déjà des résultats tangibles : des systèmes de surveillance, de contrôle et de blocage des réexportations sont actuellement mis en place dans certains pays. En collaboration avec nos partenaires, nous avons également convenu d'une liste des articles communs hautement prioritaires faisant l'objet de sanctions, à l'égard desquels les entreprises doivent faire preuve d'une attention particulière et que les pays tiers ne peuvent pas réexporter vers la Russie. Nous avons également établi liste des biens critiques d'un point de vue économique faisant l'objet de sanctions, à l'égard desquels les entreprises et les pays tiers doivent se montrer particulièrement vigilants.
Mais l’UE ne relâche pas ses efforts. David O'Sullivan, envoyé spécial pour la mise en œuvre des sanctions de l'UE, poursuit ses échanges avec les principaux pays tiers afin de lutter contre le contournement des sanctions. Il est crucial de mettre pleinement en œuvre les sanctions pour priver la Russie des recettes, des biens et des technologies dont elle a besoin pour poursuivre sa guerre.
Pour en savoir plus
Sanctions de l’UE contre la Russie à la suite de l’invasion de l’Ukraine (europa.eu)
Le point sur les sanctions de l'UE contre la Russie - Consilium (europa.eu)
Liste des articles communs hautement prioritaires faisant l'objet de sanctions
Liste des biens critiques d’un point de vue économique faisant l’objet de sanctions
Incidence des sanctions sur l'économie russe
David O’Sullivan : “Le pronostic n’est pas bon pour l’économie russe” (Euronews)
Détails
- Date de publication
- 17 mai 2024
- Auteur
- Représentation en France