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Représentation en France
Article d’actualité30 juin 2022Représentation en France11 min de lecture

Comment l’Europe régule les géants du numérique

Internet a révolutionné nos comportements et favorisé la naissance d’entreprises géantes. Il s’agit des fameux GAFAM – Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft – même si d’autres multinationales, y compris européennes, sont également concernées. Si leur activité a transformé positivement la vie des Européens, elle doit aussi être régulée pour répondre aux nouveaux enjeux et éviter les abus : protection de la vie privée, protection des droits d’auteur, protection contre la concurrence déloyale, et des règles renforcées sur la fiscalité des acteurs du numérique. L’Union européenne se mobilise sur ce sujet et fait avancer le droit et la protection des Européens. 

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Un espace numérique sûr et ouvert pour les citoyens et les entreprises de l'UE 

Aujourd’hui, pas moins de 10 000 plateformes numériques opèrent sur le marché européen. La Commission européenne poursuit son ambition de créer un espace numérique plus sûr dans lequel les droits fondamentaux des utilisateurs sont protégés et souhaite établir des conditions de concurrence équitables pour les entreprises. À cette fin, elle a présenté en décembre 2020 deux propositions de règlements : le Digital Markets Act (DMA) et le Digital Services Act (DSA). Ces deux règlements sont un élément clé de la stratégie numérique de l’UE consistant à adapter l’Europe à l’ère numérique. 

La législation sur les marchés numériques - Digital Markets Act (DMA) - définit des règles claires pour les grandes plateformes en ligne.  

Elle vise à s'assurer qu'aucune grande plateforme en ligne qui se trouve dans une position de “contrôleur d'accès" vis‑à‑vis d'un grand nombre d'utilisateurs n'abuse de cette position au détriment des entreprises qui souhaitent accéder à ces utilisateurs. Pour qu'une plateforme soit qualifiée de “contrôleur d'accès” ("gatekeeper") elle doit : 

  • d'une part, dans les trois dernières années, soit réaliser un chiffre d'affaires annuel d'au moins 7,5 milliards d'euros au sein de l'UE, soit avoir une valorisation boursière d'au moins 75 milliards d'euros, et elle doit compter au moins 45 millions d'utilisateurs finaux mensuels et au moins 10 000 utilisateurs professionnels établis dans l'UE.  

  • d'autre part, la plateforme doit contrôler un ou plusieurs services de plateforme de base ("core platform services") dans au moins trois États membres. Ces services de plateforme de base comprennent les places de marché et les boutiques d'applications, les moteurs de recherche, les réseaux sociaux, les services en nuage, les services de publicité, les assistants vocaux et les navigateurs web. 

Le règlement doit être mis en œuvre dans un délai de six mois après son entrée en vigueur, soit en 2023. 

Faire de l’Internet un espace plus sûr pour les citoyens européens 

Le deuxième règlement proposé par la Commission, la législation sur les services numériques - le Digital Services Act (DSA) - constitue une première mondiale dans le domaine de la réglementation numérique. Ce règlement obéit au principe selon lequel ce qui est illégal hors ligne doit également être illégal en ligne. Cette législation vise à protéger l’espace numérique contre la diffusion de contenus illicites et à garantir la protection des droits fondamentaux des utilisateurs. 

Le DSA vise toutes les entreprises proposant des « services intermédiaires » et établit de nouvelles règles concernant  la lutte contre les contenus illicites en ligne (incitations à la haine ou à la violence, harcèlement, pédopornographie, apologie du terrorisme…) y compris lorsqu'il s'agit de biens, de services et d'informations, la traçabilité des professionnels sur les places de marché en ligne, les mesures de transparence pour les plateformes en ligne, la surveillance renforcée. 

Les obligations instaurées sont proportionnées à la nature des services concernés et adaptées au nombre d'utilisateurs, ce qui signifie que les très grandes plateformes en ligne et les très grands moteurs de recherche en ligne seront soumis à des exigences plus strictes. Les services comptant plus de 45 millions d'utilisateurs actifs par mois dans l'UE relèveront de la catégorie des très grandes plateformes en ligne et des très grands moteurs de recherche en ligne. 

Afin de préserver le développement des jeunes entreprises et des plus petites entreprises au sein du marché intérieur, les microentreprises et petites entreprises n'atteignant pas 45 millions d'utilisateurs actifs par mois dans l'UE seront exemptées de certaines nouvelles obligations. 

Tous les intermédiaires en ligne offrant leurs services sur le marché unique, qu'ils soient établis dans l'UE ou en dehors de celle-ci, devront se conformer aux nouvelles règles. 

Le règlement sur les services numériques sera directement applicable dans l'ensemble de l'UE et mis en application quinze mois après l'entrée en vigueur ou à partir du 1er janvier 2024, la date la plus tardive étant retenue. 

Loin des critiques qui lui sont faites, l’UE n’est donc pas impuissante face aux géants du numérique !  

Dans les deux cas, les dispositifs de sanctions sont renforcés avec des mesures concrètes qui peuvent être proposées par la Commission et la possibilité d’infliger des amendes sur le chiffre d’affaires des plateformes en cas de non-respect. 

La législation sur les services numériques et la législation sur les marchés numériques constituent les deux piliers d'une réglementation sans précédent dans le domaine numérique, qui respecte les valeurs et le modèle européens. Ensemble, ces actes définissent un cadre adapté aux défis posés par l'émergence des géants numériques et à la protection de leurs utilisateurs, tout en maintenant un équilibre propice à l'innovation dans l'économie numérique. 

Concernant le possible rachat de Twitter par Elon Musk, le Commissaire européen au marché intérieur, Thierry Breton, a rappelé le 26 avril dernier qu’”En Europe, les choses sont claires : Twitter doit s'adapter à nos règles pour bénéficier d'un marché de 445 millions d'internautes, ce qui est supérieur au marché américain. La donne a changé en Europe. Nous sommes le premier continent au monde à imposer des obligations aux plateformes pour qu'elles aient le droit d'opérer chez nous. Ces obligations respectent la liberté d'expression, les valeurs européennes et nos règles de droit. Elles leur imposent de lutter contre les discours haineux, le harcèlement en ligne ou les appels aux actes terroristes.”  

L’Europe, championne de la protection des données personnelles  

La protection des données personnelles est un droit fondamental reconnu par les traités européens. Pour le renforcer dans un monde où les échanges numériques deviennent massifs, l’Union européenne a adopté le règlement général sur la protection des données (connu sous le nom de “RGPD”). Il est entré en vigueur en mai 2018. Le RGPD renforce le contrôle des citoyens sur leurs données personnelles : droit à l’oubli, droit à la portabilité des données, droit à l’information sur les failles de sécurité. 

… et ça marche !  

Le nombre de notification d’accidents de sécurité a considérablement augmenté pour atteindre 41 000 en janvier 2019 ! Facebook a dû notamment notifier des failles de sécurité à l’autorité irlandaise de protection des données. Du côté des utilisateurs, le nombre de requêtes et de réclamations auprès des autorités nationales pour la protection des données a atteint un total de 144 376, rien que pour la première année d’application du RGPD. 

Le règlement réaffirme en effet le rôle des autorités de contrôle comme la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) en France et leur donne des pouvoirs de sanction significatifs en cas de non-respect des règles. C’est ainsi qu’en janvier 2019, la CNIL a infligé une amende de 50 millions d’euros à Google pour manquement aux obligations de transparence et pour n’avoir pas valablement recueilli le consentement des utilisateurs pour traiter leurs données dans le cadre des envois de publicité ciblée ! 

L’Europe peut donc être un puissant régulateur face aux géants de l’Internet, car ses règles s’appliquent à tous les acteurs, même non-européens, qui exploitent vos données personnelles. 

Droits d’auteur : protéger les créateurs et les journalistes tout en garantissant la liberté d’expression 

Les nouvelles règles sur le droit d’auteur, modernisées afin de mieux correspondre à l’ère numérique, ont été adoptées en 2019 après de longues discussions. Elles visent d’une part à renforcer la position des créateurs (artistes, musiciens, acteurs, écrivains, mais aussi journalistes, en particulier grâce à un nouveau droit pour les éditeurs de presse) dans leurs négociations avec les plateformes qui tirent des profits élevés de l’utilisation de leurs contenus. 

Ces derniers peuvent désormais négocier des accords plus favorables avec leurs éditeurs ou producteurs et bénéficier d’une rémunération plus juste pour l’utilisation de leurs écrits et créations. 

La nouvelle directive veille, en même temps, à protéger la liberté d’expression des utilisateurs d’Internet, autre valeur fondamentale de l’Union. Le droit de citation, de critique, de caricature ou de parodie, est garanti. La création d’éléments culturels, comme les mèmes et les gifs, est expressément autorisée. Si les plateformes venaient à supprimer leurs contenus de façon injustifiée, les auteurs pourraient protéger leurs intérêts de manière efficace grâce aux nouveaux mécanismes prévus par la directive. 

L’Europe garantit une concurrence loyale 

La Commission européenne, chargée du respect de la politique de concurrence, dispose de moyens étendus pour contrôler et empêcher les ententes, abus de positions dominantes, monopoles. C’est ainsi que la Commission assure une concurrence libre, loyale et non faussée au sein du marché unique. 

Ainsi, en réaction à l’abus de position dominante de Google, la Commission a infligé, en 2017, une amende de 2,42 milliards d’euros au géant de la recherche en ligne, suivie d’une amende de 4,34 milliards en 2018 et de 1,49 milliard en 2019, assumant pleinement son rôle de régulateur de la concurrence. La Commission, par ces décisions, s’assure que Google n’abuse pas de sa taille et de sa force de marché pour empêcher d’autres entreprises de lui faire concurrence. 

Fiscalité : vers un impôt mondial sur les multinationales 

Le projet d’une taxation européenne sur les services numériques proposé par la Commission européenne en 2018 n’a pas abouti du fait de l’opposition de certains Etats membres. Cependant, le 22 décembre 2021, la Commission européenne a proposé une directive garantissant un taux d’imposition effectif minimum pour les activités mondiales des grands groupes multinationaux. Cette nouvelle proposition – qui s'inscrit dans le droit fil de l'accord international convenus par 137 pays au sein de l'OCDE et du G20 en octobre 2021 - expose les modalités de l'application pratique des principes du taux d'imposition effectif de 15 % au sein de l’UE. Elle comprend un ensemble commun de règles sur la méthode de calcul de ce taux d'imposition effectif, afin qu'il soit appliqué de manière appropriée et cohérente dans l'ensemble de l'UE. Elle est actuellement discutée entre les Etats membres, qui doivent l’approuver à l’unanimité. 

Concrètement, cela veut dire qu’à partir de 2023, les grosses multinationales, et notamment les géants du numérique vont se voir imposer une taxation de 15% sur leurs bénéfices (pour celles qui génèrent plus de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires), quel que soit l’endroit où ces entreprises réalisent leurs profits. 

Selon l’OCDE, cela pourrait générer par an “150 milliards de dollars de recettes fiscales supplémentaires” et les pays européens auraient perdu « près de 80 milliards de dollars en 2020 » à cause de l’évasion fiscale dont 14 rien que pour la France. 

Cette taxe pourrait alimenter le budget avec des recettes annuelles estimées entre 2,5 et 4 milliards par an. C’est donc une des ressources à disposition de la Commission européenne pour financer le volet " subventions " du plan de relance européen, soit les 312 milliards d’euros qui seront versés aux Etats membres pour soutenir la reprise économique après la pandémie de COVID-19. 

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Date de publication
30 juin 2022
Auteur
Représentation en France