
Merci, chère Roberta.
Mesdames et Messieurs les députés,
Alcide de Gasperi a dit ceci : « Il ne s'agit pas seulement de bâtir la paix entre nous, mais aussi de former une communauté de défense, dont le programme ne sera ni d'attaquer ni de conquérir mais uniquement de dissuader toute attaque venant de l'extérieur mue par la haine de l'Europe unie. C'est la mission de notre génération ». Soixante-dix années se sont écoulées, mais notre génération se trouve exactement face à la même mission. Parce que la paix, au sein de notre Union, ne peut plus être tenue pour acquise. Nous sommes confrontés à une crise de sécurité européenne. Mais nous savons que c'est dans la crise que l'Europe s'est toujours construite. Le moment est donc venu d'assurer la paix par la force. Le moment est venu de créer une défense commune. Et au Conseil européen, j'ai pu constater qu'un certain consensus émergeait autour de la défense européenne, ce qui est non seulement sans précédent, mais était absolument impensable il y a encore quelques semaines. Nous sommes désormais d'accord pour dire que nous devons penser différemment et agir en conséquence. Nous avons commencé à mobiliser les énormes ressources dont l'Europe dispose. Dans les semaines et les mois à venir, il nous faudra nous armer de courage. Et d'autres choix difficiles nous attendent.
Mesdames et Messieurs les députés,
L'ordre de sécurité européen est ébranlé et nombre de nos illusions sont brisées. Après la fin de la guerre froide, certains ont pensé que la Russie pourrait intégrer l'architecture économique et de sécurité de l'Europe. Tandis que d'autres espéraient pouvoir compter indéfiniment sur la pleine protection de l'Amérique. C'est ainsi que nous avons baissé la garde. Nous avons réduit de plus de moitié nos dépenses de défense, qui avoisinaient généralement les 3,5%. Nous pensions recueillir les dividendes de la paix. Mais en réalité, tout ce que nous faisions, c'était creuser un déficit en matière de sécurité. Le temps des illusions est désormais révolu. L'Europe est appelée à assumer davantage sa propre défense. Non pas dans un avenir lointain, mais dès à présent. Non pas par étapes successives, mais avec tout le courage que la situation exige. Il nous faut une augmentation très rapide des capacités de défense européennes. Et il nous la faut maintenant.
Il nous la faut avant tout en raison de la situation en Ukraine. Nous devons de toute urgence combler le vide laissé dans l'approvisionnement militaire de l'Ukraine. Et fournir à l'Ukraine de solides garanties de sécurité. Mais cette heure de vérité ne concerne pas uniquement l'Ukraine. Elle concerne l'ensemble de l'Europe et la sécurité de notre continent tout entier. Poutine a montré à maintes reprises qu'il était un voisin hostile. On ne peut lui faire confiance, la seule chose que l'on puisse faire c'est le dissuader. Et nous savons que le complexe militaire russe dépasse le nôtre. Si nous regardons les dépenses militaires en valeur absolue, le Kremlin dépense plus que l'ensemble de l‘Europe. La production européenne reste inférieure. Et au-delà des capacités traditionnelles, l'éventail des menaces auxquelles nous sommes confrontés s'élargit de jour en jour. Pendant des années, le Parlement européen a soutenu que l'Europe devait faire davantage. Et vous aviez raison. En ces temps plus dangereux, l'Europe doit passer à la vitesse supérieure. Tel est l'objectif du plan que j'ai présenté aux dirigeants la semaine dernière. Sa logique est simple : nous voulons user de tous les leviers financiers dont nous disposons, et renforcer et accélérer notre production en matière de défense. Avec le plan REARM Europe, nous pouvons mobiliser jusqu'à 800 milliards d'euros. Permettez-moi de m'attarder brièvement sur certains de ses principaux aspects.
Tout d'abord, la clause dérogatoire nationale. Permettez-moi de vous expliquer tout d'abord pourquoi il est crucial de mobiliser les budgets nationaux. À l'heure actuelle, nous dépensons un peu moins de 2% de notre PIB dans la défense. Toute analyse reconnaît que nous devons mettre le cap sur les 3%. L'ensemble du budget européen atteint à peine 1% de notre PIB. Il est donc évident que la majeure partie des nouveaux investissements ne peut provenir que des États membres. C'est la raison pour laquelle nous activons la clause dérogatoire nationale – prévue par nos nouvelles règles budgétaires. Il s'agit d'un nouvel instrument qui a été créé l'an dernier. Et nous proposons de l'activer d'une manière contrôlée et coordonnée et de l'assortir d'échéances précises – pour tous les États membres. Cela peut transformer nos budgets de la défense de manière rapide et efficace. Les États membres pourraient mobiliser jusqu'à 650 milliards d'euros dans les quatre années à venir, ajoutant ainsi 1,5% du PIB à leurs budgets de la défense sur une période de quatre ans. C'est énorme. En plus, le Conseil européen nous a chargés d'étudier des mesures supplémentaires, pour faciliter des dépenses de défense importantes à l'échelle nationale, tout en veillant à la soutenabilité de la dette.
Deuxièmement, le Conseil européen a marqué son accord sur notre proposition relative à un nouvel instrument financier, que nous appelons SAFE. Security Action for Europe, action de sécurité pour l'Europe. Nous proposons aux États membres jusqu'à 150 milliards d'euros de prêts – afin d'investir selon quelques principes de base. Ils pourraient se concentrer sur quelques domaines capacitaires stratégiques – de la défense aérienne aux drones, en passant par les moyens stratégiques et le domaine cyber, pour n'en mentionner que quelques-uns – afin de maximiser l'impact de nos investissements. Ces prêts devraient financer des achats auprès de producteurs européens, afin de contribuer à stimuler notre propre industrie de la défense. Les contrats devraient être pluriannuels, afin de donner à l'industrie la prévisibilité dont elle a besoin. Enfin, l'accent devrait être mis sur la passation conjointe de marchés. Nous avons vu à quel point cet outil peut être puissant. Pensez aux initiatives menées par la République tchèque et le Danemark pour fournir des armes et des munitions à l'Ukraine. Une nation a ouvert la voie. D'autres ont suivi, pour passer des commandes plus importantes. L'industrie a intensifié sa production et les prix ont baissé. Cela a été à la fois rapide et efficace. Et c'est exactement ce dont nous avons besoin aujourd'hui : rapidité et action à grande échelle. C'est pourquoi nous avons choisi la procédure d'urgence au titre de l'article 122, conçue précisément pour les situations où « de graves difficultés surviennent dans l'approvisionnement en certains produits ». En d'autres termes, l'article 122 nous permet de lever des fonds, puis de les prêter aux États membres afin qu'ils puissent investir dans la défense. C'est le seul moyen possible d'apporter une aide financière d'urgence et c'est ce dont nous avons besoin maintenant. Nous tiendrons le Parlement régulièrement informé des progrès accomplis.
Cela m'amène au troisième point, qui concerne les fonds de cohésion. C'est une possibilité que nous offrons aux États membres. Les États membres auront la possibilité de réorienter certains de leurs fonds non engagés vers des projets liés à la défense. Il pourrait s'agir d'infrastructures ou de la recherche et du développement. Cela se ferait sur une base volontaire, pour ceux qui souhaitent aller plus loin. Il appartiendra au Parlement et au Conseil de se prononcer sur cette option supplémentaire. Pour la même raison, le plan REARM Europe comprend également des mesures visant à mobiliser des investissements privés, avec la Banque européenne d'investissement et notre future Union européenne de l'épargne et des investissements. Permettez-moi d'ajouter que cela aura également des retombées positives sur notre économie et notre compétitivité. De nouvelles usines et lignes de production seront nécessaires, qui créeront des emplois de qualité ici, en Europe. La stimulation des investissements se fera sentir bien au-delà du secteur de la défense – de l'acier à l'espace, des grandes entreprises de transport aux jeunes pousses innovantes dans le domaine de l'intelligence artificielle. Ensemble nous sommes en mesure de décourager tout pays hostile. Nous avons la puissance économique. Et aujourd'hui, enfin, nous avons également la volonté politique.
Mesdames et Messieurs les députés,
Nous souhaiterions tous vivre des temps plus pacifiques. Mais je suis convaincue que, si nous libérons notre puissance industrielle, nous parviendrons à rétablir notre force de dissuasion contre ceux qui cherchent à nous nuire. L'heure est venue de construire une Union européenne de la défense qui garantisse la paix sur notre continent par l'unité et la force. L'Europe vit un moment historique. Et l'Europe sera à la hauteur.
Merci, et vive l'Europe.
Détails
- Date de publication
- 11 mars 2025
- Auteur
- Représentation en France